Interprétation Des Actes



Nul n’exécuterait l’acte le plus infime sans le sentiment que cet acte est la seule et unique réalité. 

Cet aveuglement est le fondement absolu, le principe indiscutable de tout ce qui existe. 

Celui qui le discute prouve seulement qu’il est moins, que le doute a sapé sa vigueur.

Mais, du milieu même de ses doutes, il lui faut ressentir l’importance de son acheminement vers la négation. 

Savoir que rien ne vaut la peine devient implicitement une croyance, donc une possibilité d’acte; c’est que même un rien d’existence présuppose une foi inavouée; un simple pas 

— fut-il vers un semblant de réalité — est une apostasie à l’égard du néant; la respiration elle-même procède d’un fanatisme en germe, comme toute participation au mouvement... 

Depuis la flânerie jusqu’au carnage, l’homme ne parcourt la gamme des actes que parce qu’il n’en perçoit point le non-sens : 

Tout ce qui se fait sur terre émane d’une illusion de plénitude dans le vide, d’un mystère du Rien... 

En dehors de la Création et de la Destruction du monde, toutes les entreprises sont pareillement nulles.

Extrait de « Syllogismes de l’amertume »

— Émil Cioran —