Les Grandes Vertus



— LXXVII —

La voie du ciel, c’est-à-dire le ciel, est comme l'ouvrier en arcs, 
Qui abaisse ce qui est élevé, et élève ce qui est bas; qui ôte le superflu, 
Et supplée à ce qui manque.

Le ciel ôte à ceux qui ont du superflu pour aider ceux qui n'ont pas assez.

Il n'en est pas ainsi de l'homme : 
Il ôte à ceux qui n'ont pas assez pour donner à ceux qui ont du superflu.

Quel est celui qui est capable de donner son superflu aux hommes de l'empire

Celui-là seul qui possède le Tao.

C'est pourquoi le Saint fait le bien et ne s'en prévaut point.
Il accomplit de grandes choses et ne s'y attache point.

Il ne veut pas laisser voir sa sagesse.

— LXXVIII —

Parmi toutes les choses du monde, il n'en est point de plus molle 
Et de plus faible que l'eau, et cependant, pour briser ce qui est dur et fort, 
Rien ne peut l'emporter sur elle.

Pour cela rien ne peut remplacer l'eau.

Ce qui est faible triomphe de ce qui est fort
Ce qui est mou triomphe de ce qui est dur.

Dans le monde il n'y a personne qui ne connaisse cette vérité, 
Mais personne ne peut la mettre en pratique.

C'est pourquoi le Saint dit : 
Celui qui supporte les opprobres du royaume devient chef du royaume.
Celui qui supporte les calamités du royaume devient le roi de l'empire.

Les paroles droites paraissent contraires à la raison.

— LXXIX — 

Si vous voulez apaiser les grandes inimitiés des hommes, ils conserveront Nécessairement un reste d'inimitié.

Comment pourraient-ils devenir vertueux?

De là vient que le Saint garde la partie gauche du contrat 
Et ne réclame rien aux autres,

C'est pourquoi celui qui a de la vertu songe à donner, 
Celui qui est sans vertu songe à demander.

Le ciel n'affectionne personne en particulier. Il donne constamment 
Aux hommes vertueux.

— LXXX —

Si je gouvernais un petit royaume et un peuple peu nombreux, 
N'eût-il des armes que pour dix ou cent hommes, je l'empêcherais de s'en servir.

J'apprendrais au peuple à craindre la mort et à ne pas émigrer au loin.

Quand il aurait des bateaux et des chars, il n'y monterait pas.
Quand il aurait des cuirasses et des lances, il ne les porterait pas.

Je le ferais revenir à l'usage des cordelettes nouées.

Il savourerait sa nourriture, il trouverait de l'élégance dans ses vêtements, 
Il se plairait dans sa demeure, il aimerait ses simples usages.

Si un autre royaume se trouvait en face du mien, 
Et que les cris des coqs et des chiens s'entendissent de l'un à l'autre, 
Mon peuple arriverait à la vieillesse et à la mort sans avoir visité le peuple voisin.

— LXXXI — 

Les paroles sincères ne sont pas élégantes; les paroles élégantes ne sont pas sincères.

L'homme vertueux n'est pas disert; celui qui est disert n'est pas vertueux.

Celui qui connaît le Tao n'est pas savant; celui qui est savant ne le connaît pas.

Le Saint n'accumule pas les richesses.

Plus il emploie sa vertu dans l'intérêt des hommes, et plus elle augmente.
Plus il donne aux hommes et plus il s'enrichit.

Telle est la voie du ciel, qu'il est utile aux êtres et ne leur nuit point.

Telle est la voie du Saint, qu'il agit et ne dispute point.

— La Voie Du Tao, 
Livre II — LXXVII-LXXXI
Aron O’Raney —