En Parlant Des Réalités Célestes


Cléon m’a apporté ta lettre, dans laquelle tu te montrais à mon égard plein de sentiments d’amitié, dignes du soin que je prends de toi; tu as essayé de façon convaincante de te remémorer les arguments qui tendent à la vie bienheureuse, et tu m’as demandé pour toi-même de t’envoyer une argumentation résumée et bien délimitée touchant les réalités célestes, afin de te la remémorer facilement; en effet, ce que j’ai écrit ailleurs est malaisé à se remémorer, bien que, me dis-tu, tu l’aies continuellement en mains. 

En ce qui me concerne, j’ai reçu avec plaisir ta demande, et j’ai été rempli de plaisants espoirs.

Aussi, après avoir écrit tout le reste, je rassemble tels que tu les as souhaités, ces arguments qui seront utiles à beaucoup d’autres, et tout spécialement à ceux qui ont depuis peu goûté à l’authentique étude de la nature, ainsi qu’à ceux qui sont pris dans des occupations plus accaparantes que l’une des occupations ordinaires.

Saisis-les distinctement et, les gardant en mémoire, parcours-les avec acuité ainsi que tous les autres que, dans le petit abrégé, j’ai envoyés à Hérodote.

Tout d’abord, il ne faut pas penser que la connaissance des réalités célestes, qu’on les examine en relation à autre chose, ou pour elles-mêmes, ait une autre fin que l’ataraxie et la certitude ferme, ainsi qu’il en est pour tout le reste.

Il ne faut pas non plus faire violence à l’impossible, ni tout observer de la même façon que dans les raisonnements qui portent sur les modes de vie, ni dans ceux qui nous donnent une solution aux autres problèmes physiques, comme le fait que le tout est corps et nature intangible, ou que les éléments sont insécables, et toutes les propositions de ce genre qui sont seules à s’accorder avec ce qui apparaît; cela n’est pas le cas pour les réalités célestes : 

Au contraire se présente une multiplicité de causes pour leur production, et d’assertions relatives à leur être même, en accord avec les sensations. 

Car il ne faut pas pratiquer l’étude de la nature en s’appuyant sur des principes vides et des décrets de loi, mais comme le réclame ce qui apparaît. 

En effet, notre mode de vie ne requiert pas une recherche qui nous serait propre, et une opinion vide, bien plutôt une vie sans trouble. 

Tout devient inébranlable pour tout ce que l’on résout entièrement selon le mode multiple en accord avec ce qui apparaît, lorsqu’on conserve, comme il convient, ce qu’à propos de ces réalités on énonce avec vraisemblance; mais lorsqu’on admet une explication et qu’on rejette telle autre, qui se trouve être en un semblable accord avec ce qui apparaît, il est clair que l’on sort du domaine de l’étude de la nature, pour se précipiter dans le mythe.

Certaines des choses qui apparaissent près de nous fournissent des signes de ce qui s’accomplit dans les régions célestes, car on les observe comme elles sont, à la différence de celles qui apparaissent dans les régions célestes; il est en effet possible que ces dernières arrivent de multiples façons. 

Il faut toutefois conserver l’image de chacune des réalités célestes, et en rendre compte par ce qui lui est rattaché, ce dont la réalisation multiple n’est pas infirmée par les choses qui arrivent près de nous.

Extrait de « Lettre À Pythoclès »

 Épicure —